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Chez Hèita, à Nîmes, « le laap de bœuf est déposé sur un riz doré sur les bords mais moelleux à l’intérieur »

Déambuler dans la ville de Nîmes offre le plaisir d’admirer une myriade d’êtres familiers, un griffon sur une peinture murale antique, un taureau massif faisant face aux arènes, un crocodile étendu sur la place du marché. C’est à quel­ques pas de ce dernier que vous y rencontrerez un dragon doré, après avoir poussé la porte d’Hèita : « Ce sont mes oncles qui l’ont fabriqué, explique Nha Nguyen, à la tête du restaurant. Il est composé de tiges de fer et de coquillages agglomérés. Ce que vous voyez, ce sont toutes les palourdes qu’ils engloutissaient à l’apéro. »
Hèita est une affaire de famille. Pendant vingt-huit ans, les parents de Nha Nguyen étaient aux manettes du restaurant, qui proposait une cuisine vietnamienne traditionnelle. Elle et sa sœur Nhat passent leurs vacances scolaires à donner des coups de main en cuisine, puis elles quittent le giron familial pour courir le monde. Et les revoilà en 2022, comme deux oiseaux migrateurs, bien décidées à reprendre l’affaire, elles qui s’étaient promis enfants d’ouvrir ensemble leur propre restaurant.
Fayçal Benhabiles, chef né à Alger et compagnon de route de Nha, les rejoint dans l’aventure, pour un changement d’ambiance détonnant à la carte. Exit les classiques phôs, nems et porc laqué, place au fritto d’aubergine sur une crème de féta fumée, à une sucrine braisée sous une montagne enneigée de parmesan, à un magret de canard servi avec des spätzle. La cuisine ne s’interdit aucune influence, croisant sans pudeur les pays et les régions mais toujours avec une règle de trois saveurs bien balancées.
Dans ces voyages à grande vitesse, un plat sort du lot : le laap de bœuf servi sur un bol de riz croustillant, comme un contrepoint nostalgique de l’époque des parents. La pièce de viande tout juste snackée est recouverte d’une sauce nuoc-mâm faite maison, de feuille de lime et de galanga, de menthe et de cébettes, pour être découpée en lamelles et déposée sur un riz doré sur les bords mais moelleux à l’intérieur, résultat de la céréale roulée en boule après cuisson, puis frite et émiettée dans le bol à la minute.
La recette, souvenir deux en un d’une salade de bœuf et d’un plat de riz croustillant servis lors des réceptions à la maison, rend hommage à une famille qui n’est jamais loin, littéralement, car on aperçoit une dame plus âgée, concentrée derrière les lampes chauffantes en cuivre à dresser les assiettes avec le chef : « Tout le monde l’appelle ‘Madame Kim’. Notre mère vient nous aider de temps en temps, elle a peur de s’ennuyer sinon », nous glisse Nha Nguyen à l’oreille.
Le laap apparaît régulièrement à la carte, tantôt à base de porc fermenté, tantôt avec du thon rouge. Il aura fallu neuf mois aux deux sœurs pour passer de la tradition à la modernité de leur cuisine métissée. « Au départ, je voulais me débarrasser du dragon, que je trouvais assez kitsch, mais mon parrain m’a rappelé combien de temps avait duré sa fabrication. On l’a gardé, même si on nous demande tout le temps si l’on est un restaurant asiatique à cause de ça », sourit-elle. La transmission est au cœur du restaurant, et tout fait sens quand on sait qu’elles l’ont renommé Hèita, qui signifie « histoire » ou « origine » en occitan.
Laap de bœuf et riz croustillant : 12,50 €. Hèita, 27, rue de l’Etoile, Nîmes (Gard). Tél. : 06-61-23-37-51.
Julien Amat
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